LE MONDE | 21.09.05 | 13h46 • Mis à jour le 21.09.05 | 13h46
C´est à Libreville, et non à Paris, que doit se jouer la campagne électorale en vue de l´élection présidentielle gabonaise. Pour faire respecter ce choix et empêcher ses opposants de s´exprimer depuis l´étranger, le président sortant, Omar Bongo Ondimba, 69 ans, dont trente-huit au pouvoir, a besoin de... la France. Il l´a dit à sa manière, dimanche 18 septembre, à son retour du sommet de l´ONU à New York. ”On va demander à la France, au ministère de l´intérieur, de nous donner la liste de tous ces Gabonais qui font des conférences de presse, qui sont déjà en campagne électorale, et nous allons leur refuser le droit de sortir du Gabon. Advienne que pourra...”, a déclaré le président Bongo lors d´une conférence de presse dans le salon d´honneur de l´aéroport de Libreville.
Piqué au vif par une question mettant en cause la représentation de l´opposition au sein de la commission chargée d´organiser le scrutin présidentiel prévu en décembre, le candidat non encore déclaré à sa propre succession visait principalement son ancien ministre et nouveau challenger Zacharie Myboto qui, récemment passé à l´opposition, mène campagne à Paris. Dans son collimateur figure aussi l´animateur d´un mouvement au titre explicite, Bongo doit partir (BDP)-Gabon nouveau qui, depuis un site Internet basé aux Etats-Unis, dénonce le ”pouvoir sangsue” de Libreville et la complicité de la France dans sa perpétuation. Pour ceux-là, qui ”laissent le Gabon” et, depuis l´extérieur, font des conférences de presse ”pour dénigrer les gens”, la consigne est claire : ”Plus de passeport, plus de sortie”, a précisé M. Bongo, en se tournant vers son ministre de la sécurité publique et de l´immigration.
A Paris, on assure qu´aucune demande formelle de communication d´une liste d´opposants trop bavards n´a été transmise. ”De temps en temps, nous recevons ce genre de sollicitation”, reconnaît-on dans l´entourage de Nicolas Sarkozy, le ministre de l´intérieur français. ”Mais, précise-t-on aussitôt, nous n´y donnons pas suite.” De source diplomatique, on interprète la sortie d´Omar Bongo comme un simple ”mouvement de menton”, préambule à la campagne présidentielle où l´indéboulonnable président devrait briguer un nouveau septennat. Mais la préfecture de police de Paris confirme qu´elle a interdit une manifestation du BDP, qui devait avoir lieu le 15 septembre devant l´ambassade du Gabon à Paris, au motif que le rassemblement risquait de ”transposer sur le territoire national les fortes tensions existant au Gabon” et de ”provoquer de graves incidents” troublant l´ordre public.
L´affaire a au moins eu le mérite de lancer la campagne électorale. Les propos du président montrent qu´”il n´a jamais voulu la démocratie au Gabon”, a déclaré à l´AFP le président de l´Union du peuple gabonais (UPG). M. Myboto, lui, a remarqué que le chef de l´Etat ”fait campagne lorsqu´il est à l´étranger”. En réalité, a estimé l´opposant, il est ”jaloux de voir d´autres que lui parler dans un pays [la France] où il croit être seul à (...) avoir des relations”.
Maître dans l´art de retourner les opposants, le président gabonais a même réussi à susciter une scission au sein du mouvement BDP. La presse gabonaise de mardi publiait une photo du président aux côtés de membres d´un ”BDP démocrate”. Un membre du parti présidentiel a même créé un troisième BDP dont le sigle signifie : ”Bongo doit présider”.
Philippe Bernard
Article paru dans l´édition du 22.09.05
Fuente: Lemonde.fr